Karl Waldmann

Danielle Gillemon
Newspaper " LE SOIR " 6 décembre 2006


Acteur haut de gamme du constructivisme russe et du dadaïsme, avec plus de mille photomontages aux implications politiques incisives, Karl Waldmann reste un mystère. Il naît avant 1900 dans les environs de Dresde, et on perd sa trace en pleine guerre froide, où on le suppose victime d'un camp de travail soviétique. Un oncle lointain, propriétaire de ses oeuvres et approchÉau moment de la chute du mur, le considérait comme un dangereux dissident et l'appelait " le fou ", sans en raconter davantage. Mais le polar a progressÉ- sans mauvais jeu de mots ! - depuis la première exposition. L'intérê t s'est élargi et Le Monde diplomatique de mai 2005 n'a pas hésitÉà illustrer toutes ses pages de ses collages.

Waldmann aurait exercÉses dons entre 1917 et 1957 dans la Dresde des avant-gardes. Plus tard, en des temps de traque et de suspicion, il est plus que probable qu'il se soit consacrÉtrès clandestinement à cet oeuvre très politiquement incorrect. L'écriture pure, elliptique, intègre de manière puissante éléments poétiques et audacieusement critiques. La palette, où dominent le rouge et le noir sur fond sépia, souligne cet enjeu critique et dramatique, distinguant nettement Waldmann de ses pairs.

Compagnon de la révolution russe, de Maïakowski, des suprématistes, l'homme mystérieux fut aussi témoin des retours à l'ordre. Dans ses compositions enlevées, codées comme des rébus, il vilipende les totalitarismes. Puisant significativement dans l'iconographie imprimée de l'époque, allemande et russe, il rend compte d'une modernitÉà la fois exaltée et inquiétante. Quant à l'image de la femme, elle est omniprésente, blonde Heidi des montagnes, Hannah des Juifs, prototype glamour Hollywood... Instruments de propagande, les corps et visages se voient subtilement crucifiés par de sombres et agressifs symboles mécaniques. D'autres thèmes, comme l'hygiène opposée à la morbidité, stigmatisent les régimes pourris.
Mais, toujours, l'esthétique, une image nouvelle inaliénable à la somme des documents, l'emporte, versant l'oeuvre au registre de l'intemporel.